5 - D'or et de cendres by Soida

5 - D'or et de cendres by Soida

Auteur:Soida [Soida]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


9

Par ces nuits chaudes où des nuages impalpables laissent filtrer

les rayons de lune, j'allais m'asseoir sur notre ponton, le bout de

mes pieds nus juste au-dessus de l'eau qui léchait doucement les

pilotis, et je guettais l'appel des ratons laveurs. Il m'évoquait

tellement le cri d'un enfant... Et je pensais à Paul, qui avait

tellement grandi au cours de ces trois ans. Il m'était arrivé de

l'apercevoir en ville, ou à l'église, quand ses parents l'y

emmenaient. Dieu me pardonne, mais j'y allais surtout dans

l'espoir de voir mon bébé, bien plus que pour la messe. Pourtant,

Gladys laissait souvent Paul aux soins de sa nourrice, le

dimanche. Elle n'aimait pas s'encombrer d'un enfant quand elle

sortait, paraît-il. Moi, cela ne m'aurait pas gênée du tout, oh

non !

Le duvet clair que Paul avait sur la tête en venant au monde avait

fait place à une épaisse tignasse blonde, où se mêlaient quelques

mèches d'or bruni. Ses yeux bleus avaient la transparence du ciel

matinal quand le soleil monte à l'horizon.

Où que ce fut, à l'église ou en ville, si Gladys remarquait que

j'avais attiré l'attention de Paul elle s'empressait de le tirer de

côté, pour lui faire un écran de son corps et le cacher à ma vue. Il

m'était difficile de m'approcher de lui. Une seule fois, alors que

les Tate quittaient l'église où je m'étais attardée à dessein, je me

trouvai à quelques centimètres de mon bébé. Je pus voir de tout

près ses mains délicates, son teint de pêche, et j'entendis son rire

cristallin quand il se retourna vers moi. Il sourit et ses yeux

s'illuminèrent. Il était en bonne santé, heureux et bien nourri, et

je m'en réjouissais. Mais en même temps j'éprouvais de la

tristesse à la pensée qu'il était mieux chez ces gens riches qu'avec

moi, qui avais si peu à lui offrir.

Il portait ce jour-là un ravissant petit costume marin, avec des

souliers blancs immaculés. On voyait bien qu'il avait tout ce qu'il

lui fallait, tout ce qu'il pouvait désirer. Qu'il était bien portant,

vigoureux, et aimé. Je n'étais pour lui qu'une passante de plus,

une inconnue, et pourtant son regard s'attarda suffisamment sur

moi pour attirer l'attention de Gladys. Quand elle se retourna et

m'aperçut, son visage s'enflamma de colère. Elle raidit les épaules

et s'éloigna en hâte, plantant là Octavius qui en resta tout

interdit. Elle lui murmura quelques mots en passant et il se

retourna lui aussi. A ma vue, il grimaça comme sous l'effet d'une

douleur subite et s'empressa de rejoindre sa femme, qui avait

déjà remis Paul aux bras de sa nurse comme s'il s'agissait d'un

paquet. Il fut emporté dans la luxueuse voiture des Tate et,

quelques instants plus tard, elle démarra dans un tourbillon de

poussière.

Je ne pouvais pas m'empêcher d'essayer d'apercevoir Paul le plus

souvent possible, j'avais besoin de le voir se développer, se

transformer.

Je

gardais

précieusement

une

certaine

photographie, découpée dans la rubrique mondaine du journal

local, où l'on voyait Paul entre Gladys et Octavius. Tous les soirs,

à la lueur de ma lampe à butane, je contemplais longuement la

photo. J'avais si souvent ouvert et replié la coupure qu'elle était

devenue pratiquement illisible.

A la façon dont je me retournais dans mon lit, maman devinait

mon chagrin, et combien je regrettais le marché que j'avais

conclu.



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